Repos obligé

Même s'il ne pouvait se mouvoir, même s'il ne pouvait parler, même s'il ne pouvait ouvrir les yeux, Harima ressentait depuis tout ce temps un sentiment... De la tristesse. Impuissant, il restait spectateur de la triste scène que lui offrait Hana. Car même s'il n'était à demi conscient, le jeune homme avait entendu ce qu'avait dit Tessa, et à cet instant, son coeur s'était serré. Lui qui ne pouvait pratiquement plus faire un pas, se faisait aider par celle qu'il aimait... alors que cette dernière était toute aussi mourrante? C'était hélas la vérité, et Harima avait l'impression qu'il n'aurait pu que pleurer face à son impuissance. Fébrilement, il tentait de bouger ses membres afin de secourir Hana, mais hélas, la mixture de Tessa ne semblait pas encore l'avoir totalement délivré de ces bêtes. C'est ainsi que des minutes qui lui paraissèrent durer une éternité s'écoulèrent, et lorsqu'enfin il pu se mouvoir, il se précipita près de sa compagne, la serrant dans ses bras.

"Pourquoi tu ne m'avais jamais parlé de... ce qui t'arrivais?"

Ayant parlé à voix basse et se reprochant tout ce qui arrivait à l'être le plus cher à son coeur, Harima se leva sans ajouter un mot. Sous un déluge de gestes doux et de mille précaution, le jeune homme installa la fille qu'il chérissait dans le lit, comme s'il avait peur qu'elle se brise et disparaisse à jamais.
Ceci fait, le jeune homme resta à l'admirer quelques secondes, cherchant un quelconque moyen pour la secourir. Et alors qu'il semblait désespéré, son regard se posa sur la table qu'ils avaient tout deux dressé pour leur dîner. Plus spécialement, son attention fut attiré sur un assez grand couteau de cuisine, qu'il avait acheté pour découper les emballages....

*Je veux la sauver... Non je ne veux pas te perdre, je désire rester avec toi...*

Tout en ayant ces pensées deséspérées, Harima s'approcha de l'ustensile de cuisine et l'attrapa d'une main plus tremblante que jamais. La faible lumière se reflêtait sur la lame, et produisait une luminosité salvatrice aux yeux du jeune homme. Dès lors, son regard se durcit, et c'est en fixant une dernière fois son aimée qu'il enfila la cape offerte le jour précédent à Hana. Il avait d'ors et déjà prit sa décision, et c'est en glissant deux objets qu'il ouvrit la porte. Toutefois, le seul 'au revoir' qu'il pu adresser à la personne qu'il chérissait ne fut que le bruit de cette dernière qui se refermait sur son passage...
__________

Quelques minutes après, Harima revint dans la chambre. Le teint blême, pâle et livide... Comme s'il avait fait une chose qu'il n'aurait pas dû. S'adossant à la porte, le souffle haletant, les pupilles dilatées, le jeune homme jeta un regard appeuré à Hana, qui semblait encore être dans le lit...
Doucement, tout doucement, le jeune s'approcha d'elle, et laissa tomber le couteau qu'il venait de prendre... mais celui-ci était enduit de sang. S'asseyant sur le bord du matelat, Harima posa sur le chevet de la chambre une assez grande coupe... toute de sang remplie. Camouflant ses mains sous la cape, il parla à voix basse pour s'adresser à Hana, mais malgré toutes ces précautions, quelques gouttes de sang tombèrent sur le matelat...
Qu'avait-il donc fait?

"H-Hana... Je t'en supplie, je veux que tu fasses quelque chose, pour moi..."

Ne préférant pas terminer sa phrase, il restait là, alors que le matelat s'imprègnait des gouttelettes rougeâtres.

Après l'effort qu'elle venait de faire pour remonter Harima dans la chambre, Hana n'avait plus guère que la capacité d'entendre, et elle ne pu répondre à la question d'Harima même si elle l'entendit, toute honteuse qu'elle fut, de même qu'elle n'avait plus non plus la force d'ouvrir les yeux. Elle ne put que sentir Harima la déposer sur le lit puis entendre le bruit de la porte qui se fermait.
Elle n'eut même pas la force de réfléchir à la raison pour laquelle il venait de sortir de la chambre et elle s'endormit profondément.
Elle fut réveillée par le même bruit qui avait précédé son sommeil, celui de la porte. Bizarrement elle reconnut très distinctement le bruit de la goutte de sang tombant sur le matelas, encore plus distinctement que le couteau qui tombait au sol, et elle sentit sa gorge sèche. Mais elle avait pu retrouver un tout petit peu de forces en dormant, et elle put ouvrir les yeux et sourire à son aimé en répondant à sa question. Mais elle ne put pas faire l'effort de prononcer tout ce qu'elle pensait.

"Ou..i?"

*Je ferais n'importe quoi pour toi*

L'oeil livide, le jeune homme passa sa main sous le dos d'Hana et l'aida à se redresser, jusqu'à ce que celle-ci soit à sa hauteur. C'est d'ailleurs en faisant ce geste qu'il prit conscience qu'elle était vraiment affaiblie. Le regard empli d'inquiétude, il craignait que s'il retirait son soutien, le corps de la jeune fille ne se laisse tomber lourdement... En effet, Hana était au plus mal.
C'est pour ça qu'il préféra ne plus vraiment perdre de temps, avant d'attraper la coupe de sang... Il avait fait ce geste en enroulant la cape autour de son bras de libre et lui portait maintenant le récipient aux lèvres. La voix pleine d'inquiétude, il s'adressa à son aimée, espérant que celle-ci puisse encore avoir la force de...

"Je t'en prie, bois ce sang... Depuis que je t'ai vu pour la première fois, je ne t'ai jamais vu le faire... Si c'est pour moi que tu ne le fais pas, ce n'est pas la peine de t'abstenir car je ne veux pas te perdre!"

Il avait ossé le ton de la voix bien malgré lui, sous le coup de la panique, les larmes aux yeux, le jeune homme s'en voulait à lui même... Pourquoi n'avait-il pas remarqué cela plus tôt?! Pourquoi ne l'avait-il pas aidé?! Etait-il nécessaire d'en arriver là, et d'attendre qu'elle soit aux portes de la mort?!

Même avec l'aide d'Harima, c'était difficile pour elle de se maintenir redressée, mais elle était prête à concentrer toutes ses forces pour accomplir tout ce qu'il lui demanderait.
Cependant lorsqu'il approcha la coupe devant elle et qu'elle vit le sang ses yeux s'équarquillèrent et elle s'empressa des les fermer, parcourue de tremblements. Elle fit une grimace comme une petite fille aurait pu le faire alors qu'on lui présenterait des épinards.

"..."

Elle n'était pas en mesure de discuter, mais elle était en proie à un terrible conflit intérieur. Bien sûr c'était pour lui qu'elle n'avait pas voulu en boire, il avait toujours eu l'air de le désapprouver. Maintenant qu'il lui demandait, on aurait pu penser qu'elle en boirait sans hésiter, mais elle n'aurait pas été capable de résister si longtemps si peu à peu elle n'avait pas commencé à développer l'idée que c'était très mal, en dehors de l'opinion qu'il pouvait avoir. D'une certaine façon il l'avait convaincue qu'en buvant du sang, en en ayant le besoin, elle serait un monstre. Elle éprouvait une honte terrible de se retrouver dans une telle situation...
Mais lorsqu'elle rouvrit les yeux pour le supplier du regard de ne pas insister elle vit qu'il avait les larmes aux yeux... C'est alors qu'elle se résigna et reposa son regard sous la coupe, et quelques secondes à la regarder suffirent à lui faire perdre la raison et une poussée soudaine d'adrénaline lui fit prendre la coupe en main et boire en hâte le liquide qu'elle contenait.
Lorsqu'elle laissa tomber la coupe à terre, il ne restait plus une goutte à l'intérieur, et Hana retrouvait petit à petit toutes ses forces. Elle jeta un petit regard timide à Harima puis ne put s'empêcher de se mettre à pleurer à chaudes larmes, ne prenant même pas la peine s'essuyer le sang resté aux extrémités de ses lèvres.

Par deux fois Harima avait vu Hana pleurer, et par deux fois c'était entièrement de sa faute... A cet instant précis, le jeune homme pensait à tout ce qu'il s'était passé depuis qu'il avait rencontré celle qui était maintenant tout à ses yeux. Et il se souvint aussi de toutes les fois où il avait parlé de "monstre" et "d'horribles" personne... Comment aurait-il pu comprendre que par ses mots, Harima avait blessé Hana jusqu'à la mettre en danger?
C'est pourquoi lorsqu'elle commença à verser de chaudes larmes, le pauvre enfant ne su pas quoi faire, et il se retenait même de la prendre dans ses bras, écrasé par la culpabilité. Toutefois, lorsqu'il remémora l'effort qu'avait fait Hana pendant tout ce temps, des mots commencèrent à se former, puis des phrases.

"Hana... excuse moi pour... tout ce que j'ai fait. Mais je t'en conjure, ne crois pas que tu es un monstre, loin de là..."

Contrairement au reste de ses paroles, ces dernières avaient été prononcées d'une voix emplie de tendresse, plus que de regret. Et c'est dans un éclair de lucidité que le jeune homme laissa tomber la cape qui le masquait aux yeux de celle qu'il aimait durant tout ce temps.

"Le seul monstre ici, c'est sans doute moi, 'on ne l'est pas par ce qu'on est, mais par ce qu'on dit et fait', c'est toi même qui l'a dit... Et tout à l'heure, alors que j'étais près à tout pour te sauver, même à tuer, 'ils' m'ont arrêté..."

C'est sur cette dernière phrase que la cape laissait maintenant tout apparaître d'Harima. Et c'est ainsi que la lumière confuse de la pièce éclairait maintenant non pas un, non pas deux, mais quatre autres Chiroptéras du corps du jeune homme. Toutefois, et contrairement à leur précédente apparition, les bêtes étaient lacérées de partout, et l'une d'elles avait même les yeux transperçées.
Cet état pathétique s'expliquait par le fait que les Chiroptéras étaient apparus sur le corps d'Harima quelques minutes plus tôt, et que, contrôlant son bras, s'étaient mutilées elles mêmes.
Et maintenant, voilà que les bêtes présentes sur les bras du jeune homme couinaient comme une bête en peine, voilà que celle présente sur le buste du corps tentait de lêcher tendrement la jeune fille, et voilà que le serpent mordillait affectueusement la main d'Hana.

"Le sang que tu as bu est le leur, et de même, il est aussi le mien. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça, peut-être est-ce dû à la potion de la Chevalière ou..."

*Peut-être l'ont-ils fait parce qu'ils savaient que tu étais au plus mal...*

Au fur et à mesure que le jeune homme parlait, les Chiroptéras commencèrent à se pétrifier. Mais malgré cela, ils ne cessèrent de s'inquiéter pour Hana qui était étendu sur le lit, et ce, jusqu'au dernier instant... C'est ainsi que lorsqu'ils finirent par se désagréger en poussière, Harima pu reprendre totale possession de son corps et de sa forme. Mais sa voix était brisée, par tout ce qui venait de se passer ce soir même.

"C-C'est pour ça... qu'il ne faut pas que tu pleures. Ils se sont sacrifiés pour toi, et se serait leur rendre un bien mauvais hommage non? Et tu sais, ma chérie, si boire du sang t'es necessaire pour vivre, eux et moi-même t'en donneront... autant qu'il en faudra."

Du revers de sa main maintenant libre, le jeune homme essuyait les quelques gouttes de sang teintant les lèvres d'Hana, en esquissant un sourire. Car depuis la fin de leur acte d'amour, ça avait été la première fois qu'il l'avait appellé par un surnom affectueux. Signe qu'il ne voulait plus que tout dégénère ainsi, et qu'ils puissent continuer à être heureux, comme il l'avait été... cette nuit.

Hana avait cessé de pleurer en voyant les bêtes, et elle regardait juste d'un air hébété en écoutant les explications d'Harima. Elle en caressa doucement une avant que toutes ne se désagrègent.
Elle baissa un peu la tête.

"J... Je ne sais toujours pas si c'est sain ou pas d'avoir besoin de sang pour vivre mais... Si pour toi je ne suis pas un monstre ça me convient. Et si la personne est d'accord de donner un peu de son sang... C'est moins mal, hein?
De plus... Si elles se sont sacrifiées pour moi, je n'ai plus le droit de risquer ma vie... On doit prendre soin d'un cadeau."

Elle s'agenouilla sur le lit pour aller ensuite se blottir contre Harima.

"Merci mon amour. Merci pour tout... Pour moi tu n'es pas un monstre, comment pourrais-tu l'être? Tu es celui que j'aimerai toute ma vie et mon sauveur ce soir."

*J'ai encore plein de beaux moments à vivre... avec toi*

Yakumo avait suivit les instrucitions que lui avait donné Hana pour retrouver la chambre dans laquelle elle et Harima séjournaient...
Montant péniblement les escaliers, elle arriva finalement devant le palier de la porte des deux Schiffs... Hésitant entre entrer directement et frapper..., Yakumo se résolut à entrer d'elle-même sans préavis...
Les voyant blotti l'un contre l'autre sur le lit, elle mit un peu de temps avant de parvenir à faire sortir quelques mots de sa bouche...

"Je... suis désolé... de vous déranger... Je ne... resterai pas longtemps..., rassurez-vous.
En fait..., je suis venu vous dire adieu..."

Yakumo n'arrivait pas à regarder les deux Schiffs dans les yeux tout en disant cela... C'était beaucoup plus difficile qu'elle ne l'avait imaginé... Quitter des êtres chèrs à son coeur... Pourtant, il n'y avait pas d'autre solution...

*Et je vous souhaite tout le bonheur du monde...*

Alors qu'il croyait enfin pouvoir finir la soirée appaisé, Harima vit entrer Yakumo dans la pièce. Celle-ci avait un air grave et semblait ne pas aller bien du tout... Par ailleurs, cet avis fut approuvé lorsque la jeune fille prit la parole. A ses mots, le teint d'Harima devint encore plus livide qu'il ne l'était, et le jeune homme retira son étreine d'Hana, sans même s'en rendre compte. Doucement, il se releva et fixa celle qui fut son compagnon, et voulu parler, pourtant... rien ne sortait?

"Yak... Pourq... Evan.........."

S'enfermant dans un mutisme gêné, le jeune homme ne pu que se lever et se diriger vers la porte. Apparemment, il avait vécu beaucoup trop d'évènements importants en si peu de temps, si bien qu'il n'osait même plus regarder les personnes présentes dans la pièce.
Toutefois, en tournant la poignée et avant de sortir, Harima jeta un dernier regard à ses amies, comme si inconsciemment il cherchait à leur faire passer un message... Un message d'adieux?

*Pourquoi... Pourquoi tout ne peut être simple...*

Yakumo fut arrêté dans son élan par une personne qui l'interpella. Apparemment, celle-ci connaissait la jeune journaliste et elle mit un peu de temps avant de se rappeller de l'homme en question... Il disait s'appeller Théodore Dumoulin et avait fait des études de journalisme en même temps que Yakumo. Bien qu'elle aurait aimé le faire, celle-ci ne put l'éviter et dut se résoudre à lui parler. En effet, la jeune femme n'était pas dans son assiette mais elle fit l'effort d'être la plus aimable possible...

*Théodore Dumoulin..., Théodore Dumoulin... Ah oui, effectivement..., sa tête me dit quelque chose...*

"Ah... oui... Théodore! Comment vas-tu? Cela fait effectivement très longtemps qu'on ne s'était pas vu!... Et je ne m'attendais surement pas à te trouver là... Qu'est-ce que tu fabriques ici?!..."

Le visage de Yakumo changea radicalement d'expression lorsque Théodore lui parla de son enquête car ce qu'il pensait être des vampires, Yakumo, elle, ne savait que trop bien de ce dont il s'agissait... Elle aurait voulu oublier ce passage du récit de son ancien camarade de classe mais elle ne le pouvait pas, elle devait le mettre au courant de certaines choses car sinon, il courerait un grave danger...

"Tu.., tu ne devrais pas plaisanter avec ces choses là Théodore... Je te conseille même d'abandonner ton enquête sur ces meurtres... Je te donne là un conseil d'ami..."

*Si seulement tu savais les terribles créatures qui se cachent derrière ces meurtres...*

Yakumo parut passablement agassé par l'attitude de Théodore. Bien qu'il y avait de cela quelques mois, elle était également comme lui, maintenant qu'elle avait vu toutes les attrocités commises par les Chiroptéras, son enthousiasme était bel et bien retombé au plus profond d'elle même... Mais après tout, comment lui en vouloir? Il avait encore cette flamme en lui et personne ne devrait le lui la retirer..., surtout pas elle...

"Le journaliste doit parfois passer par des choses horribles tu sais...
Pour répondre à ta question... Oui..., je suis... seul ici. Je comptais m'en aller même. Je pense n'avoir que trop trainer dans ce pays... J'ai... abondonné mon reportage..."

En prononçant ces phrases, Yakumo avait vraiment le coeur serré et c'est à peine si des larmes ne lui coulaient déjà pas le long des joues...

Yakumo le regarda d'un drôle d'air lorsqu'il parla de compagnons habillés de noir... Connaissait-il l'existance des Schiffs et si c'était le cas depuis quand et comment?... Si jamais Yakumo lui dévoilait le fait qu'elle s'était faite des amis Schiffs, peut-être que le journaliste risquait de le dévoiler à la presse et cela risquerait d'être extrêmement préjudiciables, non seulement pour Yakumo mais surtout pour les Schiffs eux-même... Ainsi, elle préféra détourner la question de Théodore...

"Pourquoi me demandes-tu cela?... Tu penses qu'ils ont un lien avec les meurtres de ces derniers jours?..."

Soulagé par l'ignorance dont faisait preuve son collègue, Yakumo sourit lorsqu'elle entendit ces paroles. Des amis gothiques! C'était à tomber par terre! Cependant, il valait mieux que Théodore ait cette vision des choses plutôt que de savoir la vérité...

"Aaaah euh!... Effectivement, ce sont des personnes que j'avais rencontré à Paris. Nous sommes venus sur Tokyo pour... affaires...
Je pense qu'ils ont toujours une chambre dans l'auberge mais deux d'entres eux se sont absentés..."

"Non non, du tout!... Mais dis-moi, que comptes-tu faire maintenant? Tu dois avoir fini ton reportage vu que tu viens d'appeller ton patron..."