Cymoril regardait sa fille dormir. La petit Hael ne semblait pas avoir conscience de se trouver à plusieurs centaines de mètres du sol. Son instinct de Chyroptère devait lui souffler que tout ceci était absolument normal et que tel était l'apanage de son espèce. Aurait-elle de mignonnes petites ailes ou bien devrait-elle attendre l'adolescence avant de pouvoir se transformer ? Cymoril ne le savait guère, elle n'avait jamais vu de Chyroptère enfant. Elle réalisa brutalement, glacée jusqu'à l'âme, qu'elle ne le saurait jamais. La mort s'emparait d'elle à grands pas, lui faisant payer ses errements et ses choix désastreux.
Frissonnante, elle se blottit d'avantage contre Faust qui les arrachait du sol au rythme de ses ailes puissantes.
- Trop de temps depuis que je t’ai ainsi serrée, fit-il.
- Oui, en effet, mon aimé, trop de temps, bien trop de temps, lui sourit-elle.
Le temps qu'elle n'aurait pas. Celui de retrouver leur fils toujours sans nom, celui de voir grandir Hael, et de traverser les siècles en compagnie d'un époux qui l'aimait. Le bonheur avait été si proche. Elle referma sa main dans le vide, sentant le vent filer entre ses doigts. Encore poisseuse de sang, sa chevelure flottait dans les airs, claquant comme un oriflamme.
Elle ferma les yeux un court instant puis les rouvrit. Tournant un peu la tête, elle considéra en silence le paysage noyé dans les nuages qui défilait sous eux. Champs, villes et forêts d'une contrée qu'elle avait arpenté pendant des siècles. Le soleil perçait à l'ouest, éclairant le ciel d'une douce lueur dorée. C'était la lumière d'une fin de journée, le moment où les amis que l'on recevait prenaient congé. Les nuits étaient peu sûres pour ceux qui voyageaient sur les chemins du Moyen Âge. À plusieurs reprises, des soldats sans solde et autres brigands avaient même menacé le manoir de son père. Mais ce dernier n'avait jamais déposé les armes et avait toujours conservé intacte l'intégrité de ses terres et surtout de son honneur. Ainsi avait-elle fait pendant toute sa vie. Mais aujourd'hui, elle sentait qu'il était temps de se rendre.
Elle considéra à nouveau sa fille et son époux.
- Tu retrouveras notre fils, dit-elle, confiante, à Faust. Et je t'aimerai toujours, ô mon adoré.
Ses ailes aux sombres plumes se déployèrent soudain puis se mirent à battre, la dégageant de l'étreinte de son compagnon. Cymoril se retrouva alors suspendue dans le ciel, sa fille dans les bras. Elle leva l'enfant endormie jusqu'à ce que son visage soit au niveau du sien puis lui sourit.
- J'espère qu'elle sera une aussi vaillante demoiselle que celle qui portait son nom. Mais par dessus tout, j'espère que ce sera de l'amour qu'elle rencontrera dans sa vie. Tiens, prends-la un peu, j'ai envie de voler.
Elle donna Hael à Faust, s'assurant que son époux tenait solidement le nourrisson. Ils volèrent de concert un long moment. Elle ne savait pas réellement où le Monarque les conduisaient mais lui faisait une confiance aveugle. Leur enfant perdu ne le serait pas éternellement.
Cymoril regarda une nouvelle fois vers le soleil couchant, des larmes tombant de ses yeux éblouis. Ses forces l'abandonnaient, se réfugiant dans ses ailes qui s'affaiblissaient. Et bientôt, elles aussi ne purent continuer. Sans un murmure, elle se laissa alors tomber, ailes et chevelure s'enchevêtrant et l'enveloppant d'un noir linceul.
Ses paupières se fermèrent sur ses yeux gris alors qu'elle filait trop vite vers la terre. Un ultime soupir s'exhala de ses lèvres exsangues. Elle mourut sans même s'en rendre compte.
